Le son dans la BD/comics/manga ( Part 2/3)
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Le son dans la BD/comics/manga ( Part 2/3)

Bonjour et bienvenue à tous dans les Dossiers de GL ! Cette semaine, je vous propose de poursuivre la réflexion, commencée il y a deux semaines, sur le son dans la bande dessinée/comics/manga !

Dans la première partie, nous abordions le son sous forme de texte. Pourtant, vous me direz — à juste titre — que le texte ne produit pas de son. En effet, un mot ne produit d’effet sonore que lorsqu’il est dit ou, éventuellement, lu. Ce qu’il faut savoir, c’est que la bande dessinée est un monde d’icône, de représentation. Et seul l’imaginaire du lecteur peut donner la vie à ce qu’il voit. Vous connaissez peut-être le tableau présenté ci-dessous. Dans ce tableau de Magritte, nous voyons une pipe. Pourtant, comme le dit le texte, il ne s’agit pas d’une pipe, mais bien de la représentation d’une pipe (voire même de la représentation de la représentation d’une pipe, ici.)

Image 6 : La Trahison des Images, de René Magritte (1928-1929)

Et le concept que représente ce tableau vaut pour tout ce qui se trouve dans une bande dessinée. Il n’y a pas de monde en mouvement, mais que de l’encre sur un papier (ou bien des pixels agencés les uns aux autres, dans les bandes dessinées digitales). C’est l’imagination du lecteur qui voit des personnages, des objets, un monde alentour ! Et il en va de même pour le son ; personne ne parle, rien ne fait de bruit : c’est le lecteur qui, en lisant, produit le son. À moins de lire à voix hautes, aucun son n’arrive à nos oreilles : tout se passe à l’intérieur de la tête des lecteurs. Ce qui fait d’ailleurs qu’aucun son, ni aucune voix ne sera identique en fonction des différents lecteurs.

Chris Ware a d’ailleurs dit : « Pour moi, la grande différence entre le cinéma et la bande dessinée est que le spectateur de cinéma est relativement passif, alors que le lecteur de BD s’investit beaucoup plus dans la construction même du sens. Si on devait faire une comparaison avec la musique, je dirais ceci : quand on regarde un film, c’est comme si on écoutait de la musique enregistrée, alors que quand on lit une BD, c’est comme si on lisait une partition. C’est à nous, lecteurs, de faire jaillir la musique de cette partition. »

Mais le travail du lecteur ne s’arrête pas là. Il y a en effet différentes façon de « parler », dans la bande dessinée. Tout d’abord, ce qui relève de la légende, et ce qui relève du dialogue. Le premier peut représenter une voix narrative, comme on peut le voir dans certains films, ou dans des jeux vidéos. On peut par exemple relier ça à la voix de Michael Gambon dans le film des frères Cohen, Avé, César! (2016), celle de Keith Szarabajka, dans le jeu vidéo de Rockstar Games, L.A. Noire (2011), ou tout simplement la voix d’Alain Chabat dans La Cité de la peur (1994) : « Cannes, troisième jour. 9H30 AM ».

Les dialogues, quand à eux, peuvent se présenter sous diverses formes. Le dialogue simple, les pensées, les dialogues retransmis (à la télévision, à la radio, par téléphone, par haut-parleurs), les paroles à voix basses, etc… Des codes ont été créés au fil des années, mais comment le lecteur fait-il pour comprendre ces-dits codes, sans qu’on ne lui en donne l’explication ? Même si au fil des années, ces codes se reconnaissent, et sont souvent réutilisés (En Occident, les bulles en nuage représentent quasiment partout (pour ne pas dire partout) la pensée d’un personnage). Cependant, ces codes sont parfois très ressemblants les uns des autres, mais le lecteur s’y retrouvent quand même.

Prenons l’exemple du texte sans bulle. Dans le manga Tales of Symphonia, il signifie une fois, une phrase dite à voix basse, et une autre fois, une pensée. Et dans Calvin et Hobbes, Bill Watterson inverse les phrases dans des bulles et les phrases sans bulles, sans que ça ne change la forme du dialogue.

 

Image 7 : Premier chapitre de Tales of Symphonia, pages 15 et 28 d’Itoshi Ichimura (2005).

 

 

Dans ce cas-là, c’est en fait un pari que se lance le dessinateur, en espérant que son coéquipier (qui n’est nul autre que le lecteur) comprenne ce qu’il se passe, par rapport à la situation et par rapport au texte. C’est effectivement grâce au texte inscrit que le lecteur comprend comment lire tel ou tel dialogue. Les codes que nous évoquions plus tôt ne sont là que pour aider la compréhension entre les deux acteurs que sont l’auteur et le lecteur.

Image 8 : Calvin et Hobbes de Bill Waterson (1985).

Pour terminer, il est bon d’ajouter qu’il existe bien entendu des bandes dessinées interactives qui produisent directement du son, que le lecteur n’a pas besoin d’imaginer. Mais ceci sort un peu du média même de la bande “dessinée”. Philippe Sohet, professeur au Département de communication sociale et publique de l’Université du Québec à Montréal — et qui a beaucoup étudier la bande dessinée — a d’ailleurs dit à ce propos : « Ces œuvres s’avèrent souvent très décevantes. Juguler l’imaginaire du lecteur le prive d’une grande partie de son plaisir. »

Le son dans la bande dessinée est donc un jeu habilement mené entre le dessinateur et le lecteur. En effet, chaque son mis à l’écrit par l’auteur devra être compris par le lecteur, sous peine de passer complètement à côté de ce qu’il voulait dire. Il existe quelque cas particulier, où l’œuvre est adaptée dans d’autres médias, comme Astérix ou Les Tortues Ninja, par exemple. Dans ce cas, le son est alors bien souvent réalisé sous la direction des créateurs et donnera alors aux lecteurs un son de référence — comme la voix ou le rire d’un personnage, le son d’une arme ou d’un coup, etc…

Encore une fois, c’est tout pour aujourd’hui ! On se retrouve dans deux semaines pour la fin de cet article !

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