Le quatrième souci de l’adaptation, l’apport du son n°1
Bonjour et bienvenue à tous dans les Dossiers de GL ! Cette semaine, nous allons parler du dernier souci de l’adaptation évoqué par Pascal Lefèvre : l’apport du son dans les adaptations ! J’espère que vous êtes d’attaque, parce qu’on a pas mal de choses à dire !
Une adaptation, n’étant pas sous un format papier – qu’elle soit filmique, télévisuelle ou vidéoludique – ne propose pas un son imaginaire ; inspiré et non réel. Que ce soit par le biais d’un acteur (série télévisée, et film), ou d’un acteur-doubleur (jeux vidéo, ou film et série animée), chaque personnage à un timbre de voix particulier et reconnaissable. Mais aussi, chaque son est défini et bien distinct — que ce soit celui d’une arme (les sabres laser de l’univers Star Wars), d’un objet (les communicateurs de Star Trek), d’une action (le bruit de saut de Mario et Luigi dans Super Mario Bros.), d’un animal (les Mogs ou les Chocobos, dans l’univers de Final Fantasy), etc. Comme le dit Renaud Dumont : « Une dernière différence entre littérature et cinéma, relative à l’analyse des personnages, est due à l’importance que revêt la bande-son. Un « être de papier », « vivant sans entrailles », pour reprendre une expression déjà utilisée par Paul Valéry cité par Michel Raimond, n’a pas de voix, alors qu’un acteur prête la sienne au personnage qui prend, de ce fait, à partir de ce trait d’oralité extrêmement concret, un relief tout particulier.» Et – tout comme une voix sera représentative d’une personne de notre entourage – l’écoute de ces sons ou voix nous rappelle l’œuvre à laquelle ils appartiennent, et nous renvoie aux objets ou aux personnages qu’ils représentent.
Et de ce fait, ces sons réels qui nous rappellent les œuvres que l’on apprécie vont entrer dans notre imaginaire. C’est d’ailleurs pour cette même raison que l’on détestera voir un acteur que l’on connaît bien être doublé avec une voix différente de celle qu’on lui donne habituellement. Ou encore, c’est aussi pour cette raison qu’il est frustrant de voir Henry Cavill – l’acteur de Superman dans Man of Steel – être doublé par Adrien Antoine, alors que ce dernier double plus que régulièrement Batman, depuis 2004 (pour rappel, l’acteur français a doublé Batman dans 19 films d’animation, 5 séries animées (regroupant un total de 254 épisodes), et 8 jeux vidéo, depuis 2004).
Et une fois entrés dans notre imaginaire, ces sons vont devenir une nouvelle référence, pouvant sans problème remplacer ce que nous imaginions auparavant. Effectivement, lorsque l’on voyait, dans un comic Batman, la police particulière du Joker (CC Shout Out, citée dans le Dossier « Le son dans la BD/comics/manga, partie 3 »), notre imaginaire pouvait inventer comme bon lui semblait une voix particulière, aigüe ou grave, lente ou excentrique, tout était possible. Mais une fois les nombreuses adaptations visionnées, il est difficile de ne pas entendre la voix du Joker avec la voix d’un des acteurs l’ayant doublé ou joué. Que ce soit la voix de Pierre Hatet (Batman, The Animated Series, Batman Arkham, DC Universe Online), de Jean-Pierre Moulin (Batman de Tim Burton), de Stéphane Ronchewski (Batman The Dark Knight, Batman Arkham Origins, Injustice : Les Dieux sont parmi nous), ou de Xavier Fagnon (Batman : l’Alliance des héros, Batman : Assaut sur Arkham, Batman et Red Hood, Lego Batman, le film : Unité des super héros) – qui, a eux quatre représentent les voix les plus connues du Joker en France – l’une d’entre elle, en fonction de ses souvenirs ou de ses références, reviendra en tête au lecteur au moment où il verra la police spéciale de Joker.
Il est d’ailleurs amusant de noter que, bien souvent en France, l’acteur-doubleur reste souvent le même pour un personnage. Comme pour rendre son existence encore plus véridique (et aussi pour ne pas déranger les spectateurs trop tatillons), une voix régulière aura comme rôle de créer l’essence du personnage et de l’ancrer dans le réel. De ce fait, Philippe Peythieu est, depuis le film Batman Le Défi de Tim Burton, la voix officielle du Pingouin/Oswald Cobblepot. Aux États-Unis, ils changent cependant plus souvent d’acteurs-doubleurs qu’en France — bien qu’on puisse voir des acteurs-doubleurs assez récurrents pour certains personnages (comme Nathan Fillion pour le personnage d’Hal Jordan/Green Lantern, ou Tara Strong pour le personnage d’Harley Quinn. Cependant, on peut remarquer que les acteurs qui passeront après une première adaptation reprendront une voix proche de celle qu’on peut entendre dans cette dernière. Ainsi, même si l’acteur-doubleur n’est pas le même, la voix et l’intonation restent très proches. D’ailleurs, une chaîne Youtube, nommée TheGenerationWest compare les différentes voix américaines des personnages d’adaptations, de dessins animés ou de jeux vidéo. Je vous invite notamment à aller voir la ressemblance des différentes voix des personnages de Tortues Ninja (tels que Casey Jones, Karai, Shredder, etc…), qui est assez impressionnante.
Le souci que cela fait remonter est que le spectateur va s’habituer à une voix, un grain, un timbre, une façon de parler qui sera propre à un personnage qui pourtant n’a pas de voix, à la base. Lors d’une adaptation – ou plus généralement, lors d’une création de fiction – les personnages n’ont pas de voix particulières : on peut donner certaines indications (notamment dans les romans, ou au tournant d’un dialogue : deux personnages peuvent, par exemple, parler de la voix rauque d’un autre personnage, sans qu’on ne l’entende jamais vraiment parler), mais la voix qu’on entendra dans les médias qui en proposent ne sera que celle qu’un acteur-doubleur lui louera. Et cette voix n’est pas fixe car, pour chaque nouvelle adaptation ou suite, si l’acteur ou l’acteur-doubleur est remplacé par un autre, le personnage n’aura plus la même voix. Il s’agira pourtant du même personnage. Cependant, si l’on ne met jamais la même voix à un personnage, le spectateur sera déboussolé et ne reconnaîtra jamais le personnage en question. Mais si l’on habitue le spectateur à une voix particulière, dès qu’elle changera, cela rendra l’écoute inconfortable pour lui. De cette manière, quand Adrien Antoine a repris la voix de Superman (après son travail sur Man of Steel) et qu’Emmanuel Jacomy (alors doubleur officiel de Superman) s’est vu confier la voix de Batman — qu’Adrien Antoine venait de laisser vacante — cela permet aux nouveaux spectateurs de ne pas être perdu (le Superman des nouveaux films d’animation ayant la même voix que le Superman du DCCU) mais déboussole complètement les anciens spectateurs, qui voient les voix des personnages être inversées après plusieurs années. Et là, deux concepts entrent en conflit : le réel de l’acteur et la fiction du personnage.
En effet, le personnage finira par être reconnu par la voix de l’acteur et non par ses caractéristiques propres. Et ce qui pose problème, c’est que sa voix n’est pas « sa voix ». C’est une des probables voix qu’il peut avoir ; parfois, il peut même s’agir de la voix que l’auteur imagine en pensant à son personnage — et qui serait donc ce qu’il y a de plus proche de LA voix d’un personnage. Mais la bande dessinée étant un art communicatif (entre l’auteur et le lecteur) et basé sur l’imaginaire de tout un chacun, les personnages ne peuvent pas avoir une seule et unique voix. Surtout qu’une voix, de par son timbre, son accent, son intonation, sa force, etc…, peut modifier le caractère immanent d’un personnage.
On s’arrête là pour aujourd’hui, histoire de ne pas être trop barbant ! On se retrouve dans deux semaines pour la suite ce Dossier sur les soucis qu’entraînent l’apport du son dans les adaptations ! Nous y verrons un exemple concret de perturbation dû à un changement de voix, et nous passerons du problème des voix aux problèmes des sons !