La Relation Avatariale, partie 3
Bonjour et bienvenue à tous dans les Dossiers de GL ! Poursuivons le long sujet des problèmes que posent la relation avatariale dans les adaptations !
Pour reprendre plus ou moins où nous en étions, rappelons que, contrairement aux médias que sont la bande dessinée et l’audiovisuel, dans le monde vidéoludique, l’avatar jouable n’est pas un simple personnage dont le joueur voit les péripéties se produire. En prenant l’exemple du jeu vidéo Le Pouvoir de la Force et son adaptation, Jean-François Porcherot et Jean-Marc Lainé écrivaient d’ailleurs dans les annexes du comics de la saga Star Wars : Le Pouvoir de la Force, tome 1, paru chez Hachette Collection que « le jeu vidéo est évidemment beaucoup plus complexe (…) que son adaptation en bande dessinée. La version vidéoludique, dans lequel le joueur incarne le personnage de Starkiller, s’attarde beaucoup plus sur les origines du futur apprenti, sa formation et ses missions d’entraînement. Le comics s’intéresse, lui, à la destinée d’un personnage arrivé à maturité. (…) Enfin, les issues possibles sont diverses puisque certaines missions emportent le ou les joueurs du côté obscur au terme de l’aventure. Dans la version papier, l’interactivité disparaît, il n’y a qu’une trame possible et le scénario est linéaire. Une fois arrivé à la dernière case, seule la fin de l’histoire semble ouverte en laissant le lecteur imaginer ce qu’il advient de Starkiller et des personnages qui l’accompagnent ».
Là où dans le comic-book, le lecteur n’est qu’un spectateur observant les personnages interagir entres eux, sans jamais ne rien pouvoir y changer ; dans le jeu vidéo, le joueur a un certain contrôle, une main-mise sur le personnage. Dans le premier cas, le personnage est bien quelqu’un d’autre, dont on suit les aventures de l’extérieur et sur lesquelles on ne peut en aucun cas influer. Dans le second cas, le personnage est tout autant « quelqu’un d’autre », que « soi-même » . Et le joueur peut alors – d’une mesure importante ou moindre – influencer le déroulement de ses aventures. Ce qu’il faut comprendre, c’est que lors d’une adaptation, un personnage peut ou non avoir une personnalité divergente de l’œuvre originale. Cela ne pose aucun problème, comme j’ai déjà pu le dire dans d’autres Dossiers ; les deux œuvres appartenant à deux univers distincts, un même personnage peut très bien ne pas être identique. Mais lorsqu’il s’agit d’une adaptation en jeu vidéo, il y a une nouvelle donnée qui entre en compte : le joueur. Ce dernier sera acteur et spectateur des scènes qu’il verra et, de ce fait, aucun joueur ne verra la même œuvre.
Chaque joueur aura une relation différente avec son avatar-personnage. Julie Delbouille disait d’ailleurs — sur http://thema.ulg.ac.be/jeuxvideo/avatar/ — que « cette relation entre le joueur et l’avatar peut s’analyser – avec les précautions d’usage – selon différentes modalités, dont l’identification et la négociation. « Identification » au sens psychologique du terme, comme on peut l’entendre régulièrement quand on parle de cinéma : un joueur peut s’identifier au personnage qu’il incarne dans le jeu vidéo. Il faut nuancer ce concept car il implique, selon moi, une relation à sens unique, d’où le second terme « négociation ». Je parle de négociation car il y a une interaction entre le joueur et l’avatar, le premier contrôlant le second mais le second influençant l’expérience vidéoludique du premier. On peut aussi y ajouter le concept de « distanciation », car plusieurs joueurs ont déjà avoué avoir arrêté ou modifié leur expérience vidéoludique suite à leur implication dans le jeu et aux questions morales soulevées par l’avatar. »
Ainsi, le joueur va faire des choix qui lui seront propres (parmi les choix qui lui sont proposés ; c’est pourquoi on parle de personnalité double, « à la fois similaire et [différente] de soi. ») Il pourra alors s’identifier au personnage, au point de prendre des décisions difficiles et drastiques sous le coup de la colère ou de la joie ; et en se posant des questions sur ses actes par la suite, il pourra revenir en arrière et décidé d’agir autrement, ou bien, d’arrêter directement l’action du jeu. De cette manière, il pourra être proposé au joueur de laisser sortir les émotions du personnage, ou de se calmer, dans un moment de tension ; comme s’il était la conscience de l’avatar qu’il « dirige ». Le choix s’offrira à lui de capter les émotions du personnage, de s’énerver (à la place de l’avatar) et de lui permettre de laisser libre cours à sa folie vengeresse ; ou bien de capter sa raison, de se calmer et de lui faire cesser les hostilités. Dans The Wolf Among Us, il est proposé – dans un énorme moment de tension et d’énervement collectif – de tuer un personnage qui se met en travers de la route de l’avatar depuis le début de l’histoire, ou de se calmer et de le laisser s’en aller. Si dans un moment de colère, le joueur décide de laisser libre cours à la brutalité du personnage-jouable, il pourra tout de même s’en vouloir après coup (tuer quelqu’un – même horripilant et sous le coup de la colère – n’est pas très éthique). De ce fait, le joueur aura alors la possibilité de recommencer le jeu avant cette scène et de modifier son choix, bouleversant ainsi toute son expérience du jeu.
À gauche, le choix qui est proposé au joueur dans The Wolf Among Us ;
à droite, les conséquences du choix le moins éthique.
Pour reprendre, un jeu vidéo laissera forcément au joueur un contrôle des actions de son avatar. Mais lorsqu’il s’agit d’un jeu où des choix doivent être pris, le joueur se retrouve aussi à contrôler en partie la personnalité et le caractère de son avatar. Ce qui fait que plus le personnage a un caractère fort et bien défini, plus il est difficile pour le joueur de s’en sortir. Il est tout à fait possible de faire un jeu adapté d’une œuvre où le joueur a un contrôle sur le caractère du personnage : si le personnage en question est assez inconnu pour que le joueur s’imagine être à sa place ; ou si le personnage a plusieurs identités diverses (un personnage assez vieux pour avoir changer plusieurs fois de caractère ou ayant eu beaucoup d’adaptations différentes, comme Batman ou Wolverine, par exemple). Mais dans le cas d’un personnage assez peu connu ou n’apparaissant que dans une seule œuvre, comme Bigby Wolf (ou Marty McFly dans Retour vers le Futur — aussi adapté en jeu par TellTale Games, en 2010), cela perd en pertinence car le personnage a une personnalité qui lui est propre et qui est très clairement définie ; et si le joueur connaît ce personnage (ce qui a quand même de grandes chances d’arriver, dans le cas d’une adaptation), sa prise de contrôle sera biaisée par ses connaissances, qui le pousseront à faire des choix qu’il trouve cohérent par rapport au personnage et non par rapport à lui-même.
Qui plus est, le récit d’un jeu vidéo se déroule dans un temps qui s’écoule de manière cohérente, et où les événements se suivent et s’imbriquent logiquement – tout comme le récit dans une bande dessinée, dans un film ou dans une série, d’ailleurs. Mais le joueur peut ne pas jouer cette histoire d’une traite, ni suivre l’imbrication des éléments du récit. Ainsi, si le joueur prend la manette un jour heureux, il pourra – en suivant son humeur – créer un personnage gentil envers tout le monde, sincère, etc… Et si le lendemain, il reprend la manette après une dispute, une mauvaise nouvelle ou quoi que ce soit de mauvais, il pourra décider de changer de comportement du tout au tout. Cela sera tout à fait logique si on le prend, lui, comme référentiel ; mais en terme de récit, le personnage passera de quelqu’un de très gentil à une véritable mule, sans réelle transition.
Voilà, on en a fini avec ce sujet ! On se retrouve dans deux semaines pour attaquer l’ultime partie du Dossier sur les problèmes liés à l’adaptation !