Strangers in Paradise
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Strangers in Paradise

Soyons honnête : Strangers in Paradise je connaissais de nom, mais ça m’était passé à trois kilomètres au-dessus de la tête. Pour moi, lorsque c’est sorti, c’était surtout une « histoire de filles ». J’étais beaucoup plus intéressé par les X-Men, Youngblood et autres Batman. Je me suis donc lancé dans les 600 pages de ce Tome 1 de l’intégrale après avoir eu l’occasion de lire le numéro un en V.O, presque par hasard. Et vous voulez que je vous dise ? En vieillissant, les goûts changent.

Francine (la brune) et Katchoo (la blonde) sont amies depuis le lycée et vivent en coloc. Pas facile la colocation pour ces deux meilleures amies. Enfin, disons que pour Francine, les choses sont claires. Katchoo (c’est un surnom, vous vous en doutez), cependant, aimerait bien que ça évolue vers quelque chose de plus romantique. Mais avec le mec de Francine, excité au possible car elle refuse de coucher avec lui, au milieu, c’est pas toujours évident. Surtout que, une fois le vilain vicelard largué, va se pointer David, qui va s’immiscer dans la vie des deux femmes. Du coup, on va friser le ménage à trois.

Et là, normalement, si vous aimez Les Feux de l’Amour vous allez continuer à lire, ou vous arrêter si vous détestez les soaps. STOP ! Continuez, car Strangers in Paradise, c’est bien plus que ça. Effectivement, l’histoire joue beaucoup sur les relations entre David, Francine et Katchoo, à grands coups de «  je t’aime, moi non plus ». Mais, la narration est juste, actuelle, et sans parti-pris ou jugement moralisateur. On s’attache aux personnages et à leurs états d’âme. Surtout que…

Surtout qu’au bout d’un moment, le récit commence à basculer dans le polar. Police, F.B.I, Mafia, rien n’est épargné à nos héroïnes. Et c’est traité sur un ton toujours sérieux, pas comme une gaudriole. On en apprend de belles sur le passé de Katchoo, sur ce qu’elle était avant de connaître Francine, sur ce qu’elle a pu faire. Mais ce qui est excellent, lors de la lecture, c’est que de nombreux personnages, parfois secondaires, se retrouvent impliqués dans un complot à grande échelle et que, finalement, personne n’est celui que l’on croit. Terry Moore nous livre ainsi un thriller politique digne de Les 3 Jours du Condor. J’en ai été bluffé, car je ne m’attendais absolument pas à ça. La méchante est machiavélique à souhait, les personnages satellitaires sont de vrais enfoirés, ne craignant aucune bassesse. C’est pas Sin City, mais quand même ! On est loin de l’histoire gnan-gnan que je m’imaginais il y a vingt ans.

Dans ce récit plein de rebondissements, Francine est le seul personnage clairement défini, celle qui ne cache pas son jeu derrière des faux-semblants. Elle est entière même si parfois elle a des doutes sur ses choix amoureux, ou son orientation sexuelle. Une seule chose est sûre, c’est que le trio Francine/Katchoo/David s’aime. Ce n’est que la nature de cet amour qui reste à déterminer.

Les 600 pages de ce tome forment un arc narratif complet et, en plus, se découpent en deux sous-parties aussi intéressante l’une que l’autre. Si la première présente les personnages et soulève les questions, la seconde y répond. Dans sa façon de raconter cette histoire, Terry Moore utilise différents processus narratifs, en plus de la planche de B.D classique. Nous avons droit à des parties « roman », avec rien que des vrais mots sans dessins ! Mais également de la poésie ou des chansons illustrées. Le procédé est assez peu courant pour être noté et s’inscrit, du moins dans le cadre de cette intégrale, dans une parfaite logique de narration. Cette alternance nous permet ainsi de pénétrer plus avant dans ce qui fait le cœur de la psyché des personnages.

Outre le scénario à proprement parler, le dessin a également une part importante dans la narration et le développement de l’histoire. Sur la totalité du volume, Moore tente de multiples expériences graphiques, passant d’un trait simpliste à la Archie à un trait hyper encré et sombre, renforçant l’ambiance polar. Certaines pages n’ont rien à envier non plus à l’inventivité de la mise en page qu’un Will Eisner pouvait avoir. Les dessins se suffisent à eux-même dans un noir et blanc très classe.

Les héroïnes changent et évoluent au fil du récit [surtout Francine qui souffre de problèmes de poids] en même temps que sa maîtrise graphique, sans que ça ne soit préjudiciable à l’histoire. Au final j’ai pris un pied visuel monumental à regarder les planches de Strangers in Paradise.

Bien pensé, bien amené, bien écrit et bien dessiné, tout simplement, ce volume a été pour moi une véritable révélation, tant au niveau de l’histoire qu’au niveau du dessin. J’ai découvert un artiste complet [il était temps] et une histoire qui mérite d’être lue. Oubliez vos préjugés, ouvrez les pages et laissez vous transporter.

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