Le quatrième souci de l’adaptation, l’apport du son n°4
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Le quatrième souci de l’adaptation, l’apport du son n°4

         Bonjour et bienvenue à tous dans les Dossiers de GL ! Cette semaine,
nous allons terminer de parler du dernier souci de l’adaptation évoqué par
Pascal Lefèvre : l’apport du son dans les adaptations !

         Comme prévu, nous allons observer un exemple dans lequel l’écriture de la musique est « polluée » par l’imaginaire collectif, à l’aide des musiques de la licence des Tortues Ninja ! En 1984, il n’y a pas de musiques, puisque la licence ne se compose que d’une série de comics et de petits produits dérivés. Arrive alors en 1987 la série animée et son célèbre générique, composé du refrain culte : « Teenage Mutant Ninja Turtles, Teenage Mutant Ninja Turtles, Teenage Mutant Ninja Turtles ; Heroes in the half shell ; Turtle Power ! ». Ce refrain est connu presque partout dans le monde, et l’air de cette musique l’est encore plus, étant donné que beaucoup de pays l’ont traduit, tout en gardant la mélodie originale (notamment, le Royaume-Uni, la France, l’Espagne (Galice et Catalogne comprises), l’Allemagne, le Japon, la Russie, la Bulgarie et la Suède). Mais pour l’exemple, nous allons surtout nous attarder sur la version originale.

         Après le célèbre refrain, un couplet explique qu’il s’agit d’un groupe (« team ») de jeunes (« boys ») tortues (« half-shell » et « turtle ») vertes (« they’re green ») combattant régulièrement le mal, représenté par Shredder (« the evil Shredder », « don’t cut him no slack »). S’ensuit un pont reprenant le refrain « Teenage Mutant Ninja Turtles ; Teenage Mutant Ninja Turtles ». Puis un nouveau couplet présentant les personnages un à un : dans l’ordre, Splinter, le maître qui leur a appris à être une bonne équipe (« Splinter taught them to be ninja teens ») ; Leonardo, le chef de la bande (« Leonardo leads ») ; Donatello, l’intellectuel scientifique, capable de créer des machines (« Donatello does machines ») ; Raphael, qui a un sale caractère (« Raphael is cool but rude ») ; et enfin, Michelangelo, le rigolo et fêtard de la bande (« Michelangelo is a party dude »). Puis retour sur le refrain culte sus-cité.

         En 2003 sort une nouvelle série animée, produite par la CW4Kids. La série a un générique assez éloigné du premier dans sa forme, mais pas dans le fond. En effet, bien que les musiques n’aient pas grand-chose en commun, si l’on s’attarde sur les paroles, on s’aperçoit que les deux ont bien plus de points communs qu’il n’y paraît.

         Tout d’abord, ce nouveau générique commence par un « Teenage Mutant Ninja Turtles ! », comme le générique précédent, et qui sert — plus ou moins — de refrain ; le reste de la chanson n’ayant pas vraiment de phrase récurrente. Ensuite, un premier couplet commence, et on s’aperçoit que le mot « Turtles » est répété à chaque fin de phrase, comme pour rappeler les nombreux « Teenage Mutant Ninja Turtles » de la première chanson. Et dans toute la chanson, on retrouve des termes récurrents, comme le fait qu’il s’agisse de jeunes (« Those teenage ») tortues (tous les « Turtles ! » et des jeux de mots comme « shell of a town ») combattant le mal que représente Shredder (« Watch out for Shredder »). La série avançant, en 2005, une nouvelle version du générique voit le jour et propose des nouvelles paroles : et tout un couplet se met à présenter, un à un, les personnages — comme dans le premier générique. En effet, on retrouve Leonardo, le chef de la bande (« Leonardo’s always in control ») ; Donatello, le cerveau de la bande (« Donatello, he’s the brains of the bunch ») ; Raphael, le bourrin colérique (« Count on Raphael to throw the first punch ») ; et enfin, Michelangelo, le fanfaron de la bande (« The wise guy is Michelangelo »). Le générique de la seconde série animée reprend donc beaucoup d’éléments de la première, bien que les deux séries n’aient presque rien en commun.

         Avançons alors jusqu’en 2012, avec la sortie d’une nouvelle série animée, après le rachat de la licence par Nickelodeon.

         On remarque très vite que, bien que le rythme ait changé, le générique de cette nouvelle série reprend le même refrain que la première série en le plaçant au début et à la fin — nous ré-entendons donc le célèbre : « Teenage Mutant Ninja Turtles, Teenage Mutant Ninja Turtles, Teenage Mutant Ninja Turtles ; Heroes in the half shell ; Turtle Power ! ». Se présente alors deux couplets – comme dans la première série – qui se composent, là encore, d’un premier couplet sur l’histoire et d’un deuxième couplet sur les personnages. Dans le premier, on entend donc, encore une fois qu’il s’agit d’un groupe (« team ») de jeunes (« teens ») tortues (« shell ») vertes (« green ») combattant le mal (« The good guys win and the bad guys lose »). Puis, on retrouve la présentation des personnages dans le même ordre (pour les Tortues, Splinter passant du premier à être présenter, au dernier) : Leonardo, le chef de la bande (« Leonardo’s the leader in blue ») ; Donatello, l’intellectuel, capable de créer des machines (« Donatello is a fellow, has a way with machines ») ; Raphael, qui a un sale caractère (« Raphael has the most attitude on the team ») ; Michelangelo, le rigolo et fêtard de la bande (« Michelangelo, he’s one of a kind ; And you know just where to find him when it’s party time ») ; et enfin, Splinter, le maître qui leur a appris à être une bonne équipe (« Master Splinter taught them every single skill they need ; To be one (…) incredible team »).

         On retrouve donc, en 2012, quasiment le même générique que celui de 1987 ; soit 25 ans plus tard. Qui plus est, alors que je venais de finir d’écrire ces lignes, Nickelodeon a dévoilé le générique de la prochaine série Rise of the TMNT, et le générique est encore quasiment identique : le même refrain (auquel on a ajouté des choeurs chantant « Rise of the » avant le fameux « Teenage Mutant Ninja Turtles »), et un couplet présentant les personnages (qui change légèrement pour certains, puisque leurs rôles ne seront pas les mêmes dans cette nouvelle série). Soit quasiment le même générique que le tout premier (en plus rapide, bien entendu), plus de 30 ans après.

Et, bien qu’il puisse s’agir, ici encore, d’un hommage à la première série, il est bon de nuancer : tout d’abord, il faut se rappeler que la série, bien que familiale, s’adresse tout de même à un public jeune (qui ne connaît donc pas la première série à laquelle le générique rend hommage) ; ensuite, il faut noter que la série n’a rien à voir avec celle de 1987 (elle a d’ailleurs plus de liens avec la série de 2003, qu’avec celle de 1987) ; enfin, un hommage est une chose, quand une copie pure et simple en est une autre. En effet, rendre hommage peut être subtil, ou clairement voyant. D’ailleurs, en 2016, le film Teenage Mutant Ninja Turtles 2 : Out of the Shadow a repris le générique de la série animée de 1987 tel quel (seul l’interprète est différent), car leur but avec ce film était d’intégrer la licence des films de la Paramount dans le flux du mythe des Tortues Ninja dans l’idée de rameuter les fans de toutes les versions (En effet, en plus d’avoir repris le nom d’un jeu vidéo sorti en 2013, le film récupère donc le générique de la série animée de 1987, et pioche ses inspirations dans toutes les différentes versions de l’œuvre Tortues Ninja). Mais pour ce qui est de la série de 2012, le générique reprend la forme et le fond de celui de 1987, mais sans le reprendre tel quel : ce qui renvoie, malheureusement, plus à de la copie qu’à un véritable hommage. Et au fond, la première musique ne devrait pas être une référence pour son existence en tant que « première arrivée ». La musique devrait pouvoir se réinventer sans être polluée par un prédécesseur, ni non plus être constamment tentée de rendre hommage à ce qui a fonctionné par le passé.

         Ce n’est d’ailleurs pas quelque chose uniquement présent dans les génériques et les chansons. Même l’écriture de la musique sera polluée de cette même manière. Ainsi, on voit qu’en 1989, le jeu vidéo sobrement intitulé Teenage Mutant Ninja Turtles sort sur NES. Tout un tas de nouvelles musiques ont été créé par Jun Funahashi, notamment un thème principal. Elles n’avaient rien à voir avec la musique de la série animée qu’avait écrit Chuck Lorre, pourtant sortie deux ans plus tôt et ayant rapidement eu un succès incroyable. Comme quoi, il n’est pas impossible de créer quelque chose de nouveau et détaché de ce qui pré-existe. Cependant, la créativité n’a pas duré très longtemps. La musique de Chuck Lorre est au centre des diverses compositions de Kozo Nakamura (pour le jeu Teenage Mutant Ninja Turtles 2 : The Arcade Game sorti sur NES en 1990), de Yuichi Sakakura, Tomoya Tomita et Kozo Nakamura (pour le jeu Teenage Mutant Ninja Turtles III : The Manhattan Project sorti sur NES en 1992), et de Mutsuhiko Izumi et Kozo Nakamura (pour le jeu Teenage Mutant Ninja Turtles IV : Turtles in Time sorti sur Super NES en 1992). En effet, l’air du générique de Chuck Lorre vient ici ponctuer les musiques d’introduction, les musiques accompagnant les choix de personnages, mais aussi les musiques d’exploration, et les scènes cinématiques. Le thème est tout simplement partout. Plus incroyable encore en terme de « non-créativité » : le jeu Teenage Mutant Ninja Turtles : Tournament Fighters (jeu de combat sur la licence des Tortues Ninja sorti en 1994 sur Super NES) reprend à la fois la musique de Chuck Lorre – notamment pour l’affichage des scores, choix des personnages, et menu « Continue » – et le thème du premier jeu vidéo Teenage Mutant Ninja Turtles écrit par Jun Funahashi – notamment dans la musique d’introduction. De la même manière, il n’est pas rare de remarquer qu’une musique d’une œuvre est reprise — ou très proche — d’une musique d’une autre version de l’œuvre : ainsi, plusieurs musiques du jeu Teenage Mutant Ninja Turtles : Out of the Shadows sorti en 2013 reprennent des musiques audibles dans la série animée Teenage Mutant Ninja Turtles de Nickelodeon, ou même Turtle Power de Partners in Kryme, musique du premier film de 1990.

         Voilà, on en a fini avec les soucis de l’adaptation énoncés par Pascal Lefèvre ! Cependant, je rajouterai tout de même deux autres problèmes dont nous allons parler : le premier concerne les adaptations de comics en jeu vidéo et la relation avatariale des joueurs. Nous le traiterons, dès le prochain Dossier, avec l’exemple des comics Fables et de son adaptation par Telltale Games The Wolf Among Us. Quant au second souci, il représente en réalité la conséquence de tous les soucis que Pascal Lefèvre et moi-même auront cités (cinq points relevés en tout), sur la vision, le mythe et le canon que forment lesdites œuvres adaptées. À dans deux semaines, donc, pour un Dossier sur la Relation Avatariale dans les jeux vidéo !

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