Le quatrième souci de l’adaptation, l’apport du son n°2
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Le quatrième souci de l’adaptation, l’apport du son n°2

         Bonjour et bienvenue à tous dans les Dossiers de GL ! Cette semaine, nous allons continuer à parler du dernier souci de l’adaptation évoqué par Pascal Lefèvre : l’apport du son dans les adaptations !

         La semaine dernière, je vous ai parlé des soucis que peuvent poser le changement d’une voix, car celle-ci représente en partie le caractère du personnage. Un exemple assez célèbre d’un protagoniste dont la voix a tout changé, c’est Kurt Wagner, alias Diablo des X-Men (ou Nightcrawler dans sa version originale). Le personnage bleu des comics de Marvel, apparu en 1975, a toujours parlé allemand lors de ses apparitions avec l’équipe de mutants. Lors de sa première apparition, dans Giant-Size X-Men #1 en mai 1975, le personnage est présenté dans la ville de Winzeldorf en Allemagne et utilise des mots allemand tel que « jahrmarkt » dès la première page du comic book. Et pourtant, lors de ses adaptations, on ne compte aucun allemand pour le doubler. En effet, dans la version originale, on note Adrian Hough en 1996, Brad Swaile en 2000, Alan Cumming en 2002, Liam O’Brien en 2008 et Kodi Smit-McPhee en 2016 (respectivement dans la série animée X-Men de 1992, dans la série animée X-Men Evolution de 2000, dans le film X-Men 2 de Bryan Singer, dans la série animée Wolverine et les X-Men de 2008 et dans le film X-Men Apocalypse de Bryan Singer) ; soit deux canadiens, un écossais, un californien et un australien pour doubler un allemand. En France, on a en revanche un peu des deux : des acteurs-doubleurs absolument pas allemand, comme Aurélien Ringelheim (qui est un acteur belge) dans X-Men Evolution ou Ilyas Mettioui dans Wolverine et les X-Men, et des acteurs-doubleurs d’origine allemande, comme Hanjorg Schnass dans X-Men 2 et Jochen Haegele dans X-Men Apocalypse. Le souci étant le suivant : le personnage ayant tantôt une voix tout ce qu’il y a de plus basique (que ce soit aux États-Unis, où il aura une voix américaine lambda, ou en France où il aura une voix française quelconque) tantôt une voix agrémentée d’un accent allemand, la vision que l’on se fait de lui, de sa vie, et de son caractère ne sont absolument pas les mêmes.

         En effet, le spectateur n’aura pas la même vision d’un personnage somme toute ordinaire, et d’un personnage ayant une particularité qui le distingue sensiblement des autres. Et la voix permet ce genre de distinction. Ainsi, un accent ou un grain particulier donneront un ressenti différent face à un protagoniste tout autant qu’une morphologie étrange ou un passif spécifique. Revenons donc sur la vision que les spectateurs avaient de Diablo/Kurt Wagner. Bien que son nom laisse entendre un passé plutôt germanique, la plupart des spectateurs ne le connaissaient que de ses apparitions dans les séries animées (notamment X-Men Evolution, dans laquelle il se place comme un des personnages principaux), dans laquelle il arborait un style très américain et une voix très basique – sous-entendu, américaine aux États-Unis et française en France. Et quand, « soudainement », le personnage s’est mis à avoir un accent allemand dans X-Men 2 de Bryan Singer, le grand public a été choqué de découvrir un personnage totalement différent de ce qu’il connaissait. Son accent, tout à fait logique par rapport au personnage présent dans les comics a paru étrange et surprenant aux spectateurs alors qu’il était tout à fait légitime (d’autant plus légitime du fait que le personnage s’appelle Kurt Wagner, d’ailleurs).

On retrouve à gauche le personnage des comics (qui dit ici « Bonsoir, mademoiselle » en allemand) ; au centre, le personnage d’X-Men Evolution, doublé par Aurélien Ringelheim ; à droite, le personnage du film joué par Alan Cumming et doublé par Hanjorg Schnass .

         Il faut cependant savoir que ce qui fonctionne avec les voix, fonctionne aussi avec les bruitages et les sons. Comme dit précédemment, ce que l’on « entend » en lisant une onomatopée dans une bande dessinée ce sont les sons et les bruits que l’on a l’habitude d’entendre dans la vie de tous les jours (pour les bruits ordinaires) et dans les différentes formes de divertissements (pour les sons plus improbables ou « inconnus »). Il existe des sons très importants dans l’univers des comics (comme dit, précédemment, Marvel a tout de même été jusqu’à breveter des onomatopées pour que personne ne puisse les réemprunter), mais tout comme la voix des personnages, une fois utilisés dans une adaptation, ces sons réels seront ancrés dans notre imaginaire et il sera difficile de passer outre lorsque l’on relira une scène d’un comics la proposant. D’ailleurs, si l’on voit aujourd’hui l’onomatopée « SNIKT ! », on pensera beaucoup plus au son des nombreux films où Wolverine sort ses griffes (celui ci : https://www.youtube.com/watch?v=hv3k30sZ_a4) qu’au son auquel on aurait pensé en voyant le mot avant d’avoir vu les longs métrages. Et au final, le son que l’on entend dans les films n’est rien d’autre que la vision qu’avait le sound designer du premier long métrage en voyant le mot « Snikt ! ». Après tout, comme m’a dit Nick Arundel – compositeur des musiques de la série de jeux vidéo Batman Arkham, notamment – lors d’un échange de mail : « La vision du compositeur n’en est qu’une parmi tant d’autres » C’est effectivement le cas, mais malheureusement, quand un compositeur ou un sound designer vient imposer sa vision d’un son dans une adaptation, cela forme une sorte de dogme, qui s’ancrera dans l’imaginaire collectif comme quelque chose de certain, d’intangible et imposé comme une vérité indiscutable ; et dont il sera très difficile de sortir. Il est d’ailleurs intéressant de faire ici un parallèle avec les sons du genre du Space Opera.

         En effet, on note dans le Space Opera deux périodes assez distinctes : l’avant Star Wars et l’après Star Wars. Avant, les sons étaient des sons électroniques totalement inédits (parfois créés à l’aide d’un thérémine) assez déboussolant. Apparus dans les films des années 50, ces sons novateurs ont été utilisés durant plus de quinze ans, dans des films et des séries très connues telles que Star Trek aux États-Unis et Doctor Who au Royaume-Uni. Ces sons ont notamment été révélés dans le film Planète Interdite, avec les musiques très expérimentales de Louis et Bebe Barron. Ces effets sonores sont devenus une sorte de classique toujours utilisés dans le genre. Puis est arrivé Star Wars en 1977, et le sound designer Ben Burtt, qui a totalement revu la manière de penser, en créant des sons de façon numérique, à partir de sons préexistants. Comme il le dit lui-même, dans Star Wars, le making de l’épisode I : « J’ai essayé de dénicher des bruits qui semblaient naturels. Le son émis par la plupart des vaisseaux évoque beaucoup celui des hélices des bombardiers de la Seconde Guerre mondiale passé au ralenti. » Et ce type de sons créés à l’aide de procédés plus originaux, en unissant des sons analogiques et numériques, deviennent alors la nouvelle « norme » et tous les films de science-fiction galactique s’en donnent à cœur joie. C’est ce type de norme qui existe dans tout un tas de domaine, où quelque chose qui a bien fonctionné deviendra le nouveau dogme que toutes les œuvres suivantes suivront.

         Bref, arrêtons-nous là pour aujourd’hui ! On se retrouve dans deux semaines pour la suite ce Dossier sur les soucis qu’entraînent l’apport du son dans les adaptations ! On y parlera des musiques de Batman et des Gardiens de la Galaxie !

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