Le troisième souci de l’adaptation – Deadpool et les X-Men
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Le troisième souci de l’adaptation – Deadpool et les X-Men

Bonjour et bienvenue à tous dans les Dossiers de GL ! Cette semaine, nous allons parler du troisième souci de l’adaptation : le passage d’un dessin à une photographie ou à une image de synthèse ! Et pour ce faire, nous allons prendre plusieurs exemples différents, sur plusieurs cas variés.

Tout d’abord, le passage d’un dessin à une photographie ! Cette dernière ne permet — parfois — pas de montrer des expressions extravagantes, ou des traits de visages particuliers ; ni même des positions données ou encore des scènes importantes. En dessin, tout est faisable, ce qui permet de montrer des choses irréalisables – aussi bien physiquement que financièrement. C’est d’ailleurs pour ce second point que beaucoup de films ou de séries finissent par avoir une adaptation en bande dessinée, afin de poursuivre ou étoffer une histoire sans devoir dépenser une somme trop colossale. Comme le dit Ian Gordon, « un film [et un jeu vidéo, aussi] demande plus de temps, de financement et de logistique qu’une BD » (dans l’article « La bande dessinée et le cinéma : des origines au transmédia » tiré de La Bande dessinée : une médiaculture). On pourra, par conséquent, voir des séries se terminer en comics : Smallville, Charmed, Buffy ; des séries, des jeux vidéo ou des films se développer dans des comics : Penny Dreadful, Injustice : les dieux sont parmi nous, Star Trek ou même Star Wars. Et des scènes particulières peuvent même être réutilisées pour nous montrer un nouveau point de vue — financièrement impossible dans l’œuvre originale — comme avec l’exemple de Kaamelott. Cette série française au budget plus qu’honorable ne pouvait cependant pas se permettre de mettre en scène des combats épiques entre plusieurs guerriers, ou encore des monstres de toutes sortes. Lorsque les bandes dessinées sont sorties, Alexandre Astier en a donc profité pour nous montrer des monstres (allant du dragon à l’armée de morts-vivants, en passant par le serpent géant du Lac de l’Ombre), quelques effets spéciaux (le combat des mages nous permet de voir une tripotée de sorts), ou encore l’envers du décor (les scènes de batailles nous montraient toujours le roi et ses conseillers qui regardaient le champ de bataille, en hors champ. Dans la bande dessinée, on revoit ce plan, mais on nous montre sur la page suivante la bataille qui se déroule devant eux).


Figure 11 : Une scène de bataille dans Kaamelott.
À droite, une scène récurrente de la série, les personnages de face regarde, hors-champ, la bataille.
Au centre, la scène reprise dans la bande dessinée.
À gauche, le hors-champ enfin dévoilé, grâce au passage en bande dessinée, média moins coûteux.

Au delà de cette différence d’ordre financière, la différence vient aussi du ressenti que l’on peut avoir face à un dessin et de celui que l’on peut avoir face à une photographie, ou une image de synthèse. Une photographie est bien plus proche de la réalité qu’une image de synthèse (encore que cela tend à être de moins en moins différent avec les jeux récents) ou qu’un dessin. Et une image de synthèse peut être de moins bonne facture qu’un dessin ou qu’une photographie (en fonction de son moteur graphique, bien entendu). Le rendu n’est donc pas le même selon le médium, et cedit rendu n’a de ce fait pas le même effet sur nous – si l’on prend, par exemple, le cas d’une image un peu sanglante (Cet exemple n’est pas pris au hasard. Les films X-Men et surtout Wolverine ont été très critiqué du fait que leurs rendus finaux étaient bien moins sanglant et sombre que les comics du même nom. La Fox qui s’occupait de la production de ces films donnait comme argument que le film devait attirer un public plus large que le comics pour être rentable, et qu’elle devait passer le film en « tout public » pour attirer des enfants comme des adultes). Les films Deadpool et Wolverine « devaient être plus violents » pour beaucoup de « fans » qui ne reconnaissaient pas le côté sombre, mature et très sanglant des œuvres originales. Les derniers films à avoir vu le jour au moment où j’écris – respectivement Deadpool et Logan – ont été bien mieux reçus, car ils répondaient à ces attentes. Mais le souci, c’est que ces films ne vont pas aussi loin que les comics dont ils sont tirés. Car un dessin sera toujours moins choquant qu’une photographie réaliste.

De ce fait, bien que le film Deadpool soit assez violent (des têtes tranchées, une main coupée, etc.), il n’arrive pas à la cheville de ce que peut proposer le comic book. Rien que le visage brûlé de Wade Wilson n’est pas si horrible que ça dans le film. Et pourtant, les passants le dévisagent tous et commentent « Il a dû souffrir », « Qu’est-ce qu’il s’est fait ? », « Bon dieu, le pauvre », « Mon chéri, ne regarde pas » ou encore « Il s’est pas raté ». Le film cherche à nous rendre compte de ce que les personnages des comics peuvent ressentir face à Deadpool, mais sans nous rendre compte du visage qu’il a dans ledit comic book. Son visage est bien moins repoussant que celui en dessin, car un dessin est moins réaliste qu’une photographie, et de ce fait, nous ne ressentons pas le même dégoût pour quelque chose de représenté graphiquement que pour quelque chose de concret.

Figure 12 : À droite, le visage à peine abîmé de Deadpool dans le film.
À gauche, deux représentations différentes du visage de Deadpool dans les comics. Tirées de
Deadpool : Sins of the Past, et de Deadpool (vol.5) #1.

Tout comme un tableau présentant des morts ne repousse pas les spectateurs (par exemple, Le Radeau de la Méduse de Théodore Géricault), un dessin – même horrible – semblera toujours moins affreux qu’une photographie, qui sera bien plus concrète. De ce fait, regarder un comics assez sanglant ne pose pas de problème à un très grand nombre de gens ; quand voir un film sanglant gênera un certain nombre de personnes. L’image suivante en est le parfait exemple : ce genre d’image est plutôt violente mais est monnaie courante dans l’univers de Deadpool — le personnage ayant des capacités de régénération accrues, les auteurs peuvent se permettre d’aller vraiment très loin pour « rire » des effets négatifs de son pouvoir. De plus, la couleur d’un dessin peut aussi jouer sur le ressenti : aussi cru et concret que puisse être le dessin, les couleurs assez vives peuvent aussi rendre moins dégoûtante une image très barbare.

Figure 13 : Image assez violente d’un
empalement dans
Deadpool (vol.5) #2.
Paru chez Marvel Comics en 2013.

Scénario de Brian Posehn et Gerry Duggan.
Dessin de Tony Moore.
Couleurs de Val Staples

A contrario, une image de synthèse n’ayant pas les capacités d’afficher ce qu’un dessin pourrait présenter, ou ce qu’une photographie pourrait montrer, n’apportera pas les mêmes émotions aux lecteurs/spectateurs. Un vieux jeu vidéo — comme, par exemple, The Uncanny X-Men, édité par LJN et sorti en 1989 sur NES — laisse le joueur perplexe face à sa vision des personnages. Bien que cesdits protagonistes imposent une certaine forme de classe, de puissance, de menace, ou de peur dans leurs versions dessinées ; une fois intégrés dans un jeu vidéo n’ayant pas les capacités graphiques d’afficher assez de détails, ces mêmes personnages se retrouvent dénués de tout attrait.

À gauche, quatre personnages tirés du jeu The Uncanny X-Men : Colossus, Tornade,
Cyclope et Wolverine. À droite, les quatre mêmes personnages dans leur version comic book.

Bien entendu, plus les capacités graphiques des nouveaux outils technologiques — tels que les consoles de jeux vidéo — augmentent, plus elles tendent à ne plus donner ce genre de problème. En effet, avec les capacités actuelles, les jeux se retrouvent souvent entre deux ressentis : celui qu’un lecteur a face à un dessin ou dessin animé (avec les jeux en cel-shading ou « ombrage de celluloïd », notamment) ; et celui qu’un spectateur a face à une vidéo — cinéma, tout comme télévision — grâce aux progrès de la motion capture, mais aussi grâce aux images ultra-réalistes que proposent les jeux d’aujourd’hui (et qui ne tendent qu’à être de plus en plus réalistes).

Voilà, c’est tout pour aujourd’hui ! On se retrouve dans deux semaines pour la suite de ce long sujet, en parlant cette fois du dernier souci de l’adaptation évoqué par Pascal Lefèvre : l’apport du son dans les adaptations !

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