Le quatrième souci de l’adaptation, l’apport du son n°3
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Le quatrième souci de l’adaptation, l’apport du son n°3

         Bonjour et bienvenue à tous dans les Dossiers de GL ! Cette semaine, nous allons continuer à parler du dernier souci de l’adaptation évoqué par Pascal Lefèvre : l’apport du son dans les adaptations ! Nous avons vu dernièrement que si des voix et des sons sont utilisés dans une adaptation célèbre, ils deviendront une norme à utiliser (ou dont il faudra s’inspirer) dans les prochaines adaptations.

         Et bien entendu, ce qui fonctionne pour les bruitages, et pour les voix, fonctionne encore plus pour les musiques. Effectivement, ce dernier type de son n’existe pas du tout (ou très peu, dans les cas particuliers des chants ou des musiques notés dans les comics comme des textes en bulle ou comme des textes hors bulle). De ce fait, personne n’entend particulièrement une musique en lisant un comics — sauf si, bien sûr, le lecteur en écoute à côté. Pourtant, lorsqu’une adaptation sort, une musique est ajoutée au média, et le thème choisi restera ancré dans les mémoires comme « le thème » de la licence. Qui, par exemple, ne connaît pas le thème de Superman, créé par John Williams pour le film de Richard Donner ; ou plus récemment, le thème des Avengers composé par Alan Silvestri pour le film de Joss Whedon ? Il est en effet très rare de ne pas se souvenir du thème principal d’un film, d’une série ou d’un jeu vidéo quand on l’a entendu. Et très souvent, s’il n’est pas directement repris dans une nouvelle adaptation, il est réintégré dans une nouvelle composition en tant « qu’hommage ». J’ai d’ailleurs pu en discuter avec le compositeur ayant travaillé sur les jeux vidéo de la saga Batman – Arkham : Nick Arundel. Il m’a confirmé que beaucoup de musiques desdits jeux étaient inspirées des précédentes adaptations de Batman ayant vu le jour. Personnellement, je trouvais que — le premier opus mis de côté — beaucoup de compositions rappelent les musiques d’Hans Zimmer pour les films de Nolan ; et que certains accords de toute la saga font penser aux musiques de Danny Elfman pour les films de Tim Burton et à celles que Shirley Walker avait modifiées pour la série animée de 1992. Ainsi, quand je lui ai demandé qu’elles étaient ses inspirations, il m’a déclaré avoir « écouté toutes les musiques de Batman existantes afin de ne pas faire défaut à l’amour des fans pour cesdites musiques. » Je lui ai alors parlé d’un son spécifique audible dans les musiques de Batman Arkham Knight, notamment, et il m’a annoncé qu’il s’agissait de « la tierce mineure, qui est un son commun aux musiques de Elfman (et Shirley Walker pour la série animée) et à celle de Hans Zimmer. Dans cet exemple, nous passons harmoniquement d’une note précise à une autre séparée par une tierce. C’est un processus assez commun, utilisé depuis Debussy, Stravinsky et Bartók. Si vous écoutez attentivement les musiques de Arkham City, vous remarquerez qu’il n’y a presque jamais d’accord majeur sauf quand quelque chose “d’inhabituel” se produit, comme dans l’introduction avec Catwoman ou à la toute fin. »

         Ainsi, bien que les différentes adaptations de Batman – entre autres – s’inspirent presque toutes de la même œuvre de base (c’est-à-dire, les comics), ces dernières réempruntent les musiques à d’autres adaptations n’ayant rien à voir. Ainsi, les compositeurs, lors de l’écriture, se retrouvent à piocher – de gré ou de force – dans ce que l’imaginaire collectif à emmagasiné jusqu’alors. Que ce soit pour « plaire aux fans » et « rendre hommage » ou parce que c’est ce que l’imaginaire collectif et les croyances populaires ont rendu célèbre, le compositeur fera presque forcément référence à ce qui existe déjà ; car si une musique particulière fait penser à une œuvre à tout un chacun, il est évident que lors d’un travail de composition, un musicien sera renvoyé – par ses souvenirs, et sa pensée latente – à ce qui existe déjà et qui est attaché à une œuvre de par sa réalité.

         Attardons-nous alors sur quelques exemples : l’un où l’écriture de la musique est « polluée » par l’imaginaire collectif ; et l’autre où ce sont le style de musique et les paroles qui le sont. Tout d’abord, les adaptations où ce sont le style de musique et les paroles qui sont pollués par une adaptation antérieure. Cet exemple n’est pas très ancien, car il s’agit du jeu vidéo Marvel’s Guardians of the Galaxy: The Telltale Series. Le jeu tout entier fait référence à la fois au comics et à son adaptation cinématographique de 2014 (et à celle de 2017, aussi, bien entendu). Au niveau visuel, les personnages principaux ressemblent trait pour trait à ceux du comics (du comics post-adaptation cinématographique, cela dit) : Star-Lord est blond, Gamora porte son armure moulante et a le tour des yeux jaune, Drax est vert et non gris, Groot à les yeux jaunes et concaves ; même Thanos a le même design que dans le comics. En revanche, les personnages secondaires – tels que Yondu et les cohortes de Nova – ainsi que les lieux – tel que le vaisseau et Nulle Part – sont exactement identiques à ceux du film de James Gunn. Plusieurs références sont faites à des éléments du comics : on reçoit un mail de l’Église de la Vérité (un des premiers ennemis qu’affronte l’équipe en tant que Gardiens de la Galaxie dans les comics), de Cosmo (qui se trouve être le chef de la sécurité de Nulle Part), d’Howard le Canard (même s’il apparaît aussi dans le film, il ne s’agit que de caméo, et non d’une réelle relation) ; mais aussi à des éléments du film : Peter a un baladeur cassette, Yondu connaît bien Peter, les Gardiens travaillent parfois avec le Nova Corp, etc… Mais, là où le jeu est vraiment très proche du film, c’est surtout au niveau de la bande sonore – pour la simple et bonne raison que le comic n’en a pas, et que l’adaptation cinématographique est la seule inspiration possible. Tout d’abord, les voix et manières de parler des personnages sont très proches de celles du film. Mais aussi et surtout, les musiques : qu’il s’agisse des compositions originales ou des chansons empruntées, le jeu vidéo de Telltale Games reprend très clairement l’ambiance du film. On retrouve tout un tas de musiques des années 70 pour accompagner les aventures des héros, telles que Dancing in the Moonlight de King Harvest (1972) ou encore Livin’ Thing d’Electric Light Orchestra (1976) (Il est d’ailleurs amusant de noter que la suite Les Gardiens de la Galaxie Vol.2 sortie le 26 avril 2017 reprend elle aussi une musique d’Electric Light Orchestra : Mr. Blue Sky de 1978). Même la traduction française reprend les « erreurs » apportées dans le film, comme le vaisseau répondant au nom de Milano traduit par Milan en français, ou le « I am Groot » traduit en « Je s’appelle Groot ». Le jeu vidéo prend donc des inspirations des deux versions de l’œuvre ; mais pourtant l’histoire ne correspond ni à l’une ni à l’autre (les personnages ne connaissent pas le Collectionneur ; Yondu est venu chercher Peter Quill sur Terre quand il était petit, mais ne l’a rencontré qu’à l’enterrement de Meredith Quill (quand dans le film, Yondu le récupère le soir même de la mort de sa mère), etc).

         Il s’agit donc d’une adaptation très libre de l’œuvre, mais pourtant très proche des deux. Il est intéressant de noter qu’au-delà de l’idée de « rendre hommage » à l’œuvre — où dans ce cas, aux œuvres — dont il s’inspire, l’adaptation va surtout chercher à s’inscrire dans le plus de versions possibles pour plaire au plus grand nombre. Qui plus est, l’adaptation va rendre « normal » (dans le sens premier du terme) un type de musique ou un type de voix, alors que l’œuvre originale n’apporte aucun réel indice sur le sujet. Panini Comics présente d’ailleurs ses comics Gardiens de la Galaxie de cette manière : « Ooga ooga ooga-chaka… Entendez-vous les premières notes de la bande sonore des Gardiens de la Galaxie résonner autour de vous ? Plus qu’une chanson, “Hooked on a Feeling” est devenu un hymne ! Celui de milliers de fans de tout âge qui ont découvert en 2014, l’équipe de super-héros la plus déjantée de la galaxie. » (Disponible sur la « news » du 7 avril 2017. L’adaptation devient la norme, et même « l’hymne » de la licence qui est pourtant bien plus vieille). Ainsi, la première adaptation deviendra un dogme ; quand la seconde adaptation (et celles qui s’en suivront) alimenteront l’idée qu’il existe bel et bien ladite norme en réutilisant ses éléments, encore et encore ; rendant alors étrange les adaptations qui ne les utiliseraient pas, bien que cela soit tout à fait légitime.

         Sur ce, on se retrouve dans deux semaines pour la suite ce Dossier sur les soucis qu’entraînent l’apport du son dans les adaptations ! On y observera l’exemple dans lequel l’écriture de la musique est « polluée » par l’imaginaire collectif, à l’aide de la licence des Tortues Ninja !

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