La Relation Avatariale, partie 1
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La Relation Avatariale, partie 1

         Bonjour et bienvenue à tous dans les Dossiers de GL ! Poursuivons le long sujet des problèmes que posent l’adaptation !

         Maintenant que les soucis d’adaptation énoncés par Pascal Lefèvre ont été traités, il nous faut nous intéresser à deux autres problèmes qu’il n’a pas évoqué (aucun jugement quel qu’il soit, ici. Si Pascal Lefèvre ne les a pas énoncés, ce n’est que parce que cela ne concernait pas son objet d’étude (qui était le cinéma et la bande dessinée)). Le premier concerne les adaptations de comic-book en jeu vidéo. Nous le traiterons avec l’exemple des comics Fables et de leur adaptation par Telltale Games The Wolf Among Us. Quant au second souci, il représente en réalité la conséquence de tous les autres que Pascal Lefèvre et moi-même auront cités (cinq points relevés en tout), sur la vision, le mythe et le canon que forment lesdites œuvres adaptées.

         Sans plus attendre, passons donc au point concernant l’adaptation en jeu vidéo, en commençant par présenter les deux œuvres que nous observerons. Tout d’abord, Fables, une série de comics créée et scénarisée par Bill Willingham. Parue entre juillet 2002 et juillet 2015 chez Vertigo – le label de comic-book adulte de DC Comics –, et composée de 150 chapitres, la série principale a eu droit à quelques spin-off, tels que Jack of Fables (une série de cinquante comics basés sur le personnage de Jack, qui représente le « Jack de tous les contes » : Jack Forst, Jack O’lantern, Jack le tueur de géant, etc.), Fairest (une série de trente-trois chapitres s’intéressant aux personnages féminins de l’univers de Fables), deux mini-séries sur le personnage de Cendrillon (Cinderella: From Fabletown with Love et Cinderella: Fables Are Forever), ainsi que quelques one-shots et romans graphiques. Bien qu’assez peu connue en France (la série est très célèbre chez les connaisseurs de comics, mais très peu connue par le grand public ; même si son adaptation vidéoludique lui a permis d’être reconnue par un plus grand nombre), la série est cependant très reconnue aux États-Unis ; elle a d’ailleurs reçu plusieurs prix Eisner – vingt-deux, entre 2003 et 2011, pour être exact – et Bill Willingham a reçu en 2011 le prix suédois, Adamson, du Meilleur auteur international pour l’ensemble de son œuvre sur Fables.

À gauche, la couverture du premier comic book Fables, dessin de James Jean ;
à droite, la jaquette du jeux vidéo The Wolf Among Us de Telltale Games.

         La série nous présente l’histoire des Fables, des personnages tirés (comme leur nom l’indique) des fables, des comptines et des contes que l’on connaît bien – Blanche-Neige, Pinocchio, Le Magicien d’Oz, Barbe Bleu, Hansel et Gretel, les Trois Petits Cochons, etc… – qui ont été chassés de leurs Royaumes par « l’Adversaire » et qui trouvent donc refuge dans un quartier de New York nommé Fableville. Ils vivent leur vie tranquillement, en essayant de ne pas se faire repérer par les gens normaux de New York qu’ils nomment les « Communs ». On retrouve des personnages bien connus, et découvre leurs différents petits secrets : Pinocchio en veut à la Fée Bleue car il aimerait grandir et coucher avec des femmes, mais il ne reste qu’un « petit garçon » depuis plus de 300 ans ; la Bête ne reste humain que si l’amour que Belle lui porte reste le même ; le Prince Charmant est le même dans toutes les histoires et est donc un coureur de jupons, etc. L’histoire étant tout de même assez longue, nous n’allons pas, ici, l’expliquer dans sa totalité. Tout ce qu’il faut savoir, c’est que chaque personnage à une identité qui lui est propre, et défini.

         Entre octobre 2013 et juillet 2014, la société de développement Telltale Games, forte de ses nombreuses adaptations vidéoludiques – telles que Les Experts : Las Vegas – Crimes en série, Wallace and Gromit’s Grand Adventures, Retour vers le Futur : Le Jeu, Jurassic Park : The Game, et The Walking Dead, notamment – décide d’adapter l’univers du comics Fables dans un jeu d’aventure graphique épisodique nommé The Wolf Among Us. Pour commencer rappelons quelques notions : un jeu d’aventure graphique est un jeu vidéo présentant des images ou des vidéos sur lesquelles le joueur n’a pas ou peu de contrôle, et dans lesquelles toutes les interactions avec l’univers du jeu se réalisent grâce à du texte – des dialogues dans lesquels interagir ou des choix à prendre. Les nombreux jeux en point-and-click font partie de ce type de jeux. Quant aux jeux épisodiques, il s’agit d’un type de distribution préférant vendre en plusieurs petites parties un jeu complet. Le jeu sortira donc en plusieurs fois – chaque partie pouvant cependant comprendre un début et une fin – mais les épisodes mis bout à bout feront avancer un fil rouge, une histoire globale plus complexe.

         Le jeu se présente donc ainsi : le joueur incarne Bigby Wolf, alias Le Grand Méchant Loup (lui aussi apparu dans plusieurs fables et contes, tels que Pierre et le Loup, Le Petit Chaperon Rouge, ou encore Les Trois Petits Cochons), un des personnages principaux du comics. En tant que shérif de Fableville, il doit gérer les Fables et les empêcher de créer trop de problèmes (pour ne pas risquer d’être repérer par les Communs). Le joueur va alors suivre une enquête de Bigby, à la suite de la mort mystérieuse de Peau d’Âne (dont le nom est « Espoir » en français et « Faith » en version originale.). Il cherchera à se repentir pour ne plus être considérer comme le Grand Méchant Loup, bien que personne à Fableville ne semble vouloir lui faire confiance. Le jeu étant un jeu d’aventure graphique basé sur des décisions à prendre, plusieurs choix s’offriront au joueur sur la manière de diriger le personnage afin d’avancer dans l’histoire. Il peut en faire un personnage assez rude, clairement méchant, sympathique, ou trop gentil ; en répondant différemment à tous les dilemmes qui se présenteront à lui durant la partie. À partir de ce moment-là, un problème survient : le joueur qui connaîtra le comics n’aura pas trop d’intérêt à en faire un personnage différent de celui qu’il connaît, qu’il a appris à apprécier et aimer. En revanche, le joueur qui ne connaîtra pas le comics pourra créer une personnalité totalement différente du personnage de base, et se retrouver déçu, par le personnage du comics, s’il le lit après.

         Pour être tout à fait objectif, il s’avère que ce genre de jeu peut très bien fonctionner. Telltale Games présente d’ailleurs deux exemples qui fonctionnent plutôt bien : The Walking Dead, sorti en 2012 et Batman : A Telltale Games Series sorti en 2016. Dans le premier jeu, le joueur incarne un personne inconnu (Lee Everett) se retrouvant plongé dans l’univers du comics The Walking Dead de Robert Kirkman. Le joueur va alors suivre les aventures d’un personnage dont il ne connaît rien et lui faire prendre des décisions, forgeant ainsi son caractère tel qu’il le consentira. Dans le second jeu, le joueur incarne le célèbre personnage qu’est Bruce Wayne, alias Batman. Et là, bien que l’idée de pouvoir donner le caractère que l’on veut à ce personnage paraît tout à fait identique à l’idée de le faire avec Bigby Wolf, il n’en est rien. Car le personnage que représente Batman est plus une icône qu’un réel personnage avec une personnalité qui lui serait propre. En fonction des différents runs qu’ont écrit un nombre incalculable d’auteurs et de dessinateurs, Batman n’a pas toujours eu une seule personnalité bien définie. Sans compter les nombreuses adaptations qui lui ont été faites, toute plus différentes les unes des autres. Ainsi, un jeu où l’on peut choisir la personnalité du Batman que l’on préfère est envisageable. Il peut s’agir du caractère du Batman de Bill Finger et Bob Kane, de celui de Frank Miller, de Scott Snyder, de Paul Dini, de Tim Burton, de Leslie H. Martinson, de Christopher Nolan, ou de tout un tas d’autres auteurs…

         Mais pour un personnage comme Bigby Wolf – apparu uniquement dans la plupart des chapitres de Fables ainsi que dans quelques-uns de ses spin-off, et ayant une personnalité propre qui ne change pas ou très peu (et, si elle change un peu, c’est toujours de manière logique et expliquée) – l’intérêt de choisir sa personnalité est plus mince. Qui plus est, Bigby Wolf est un personnage de comics ; tandis que Batman est aujourd’hui une icône : Bigby ne fait pas partie de l’imaginaire collectif, mais Batman est bel et bien rentré dans cet imaginaire – même les personnes n’ayant jamais lu de Batman ni vu d’adaptation de l’homme chauve-souris le connaissent ; mais personne ne connaît Bigby, hormis les connaisseurs de Fables. Donc finalement, celui qui connaît le comics jouera le personnage tel que l’auteur l’a écrit. Et celui qui ne connaît pas le comics pourra créer une personnalité propre et nouvelle, au risque de s’éloigner du personnage du comics et de ne pas le reconnaître en le lisant par la suite.

         Allez, arrêtons-nous là pour aujourd’hui ! On se retrouve dans deux semaines pour la suite de ce Dossier sur la relation avatariale !

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